Optimisation du fonds de prévoyance : une stratégie gagnante pour les copropriétaires
Collaborateur invité : Antoine Vézina, CFA
Dans cet article, vous découvrirez :
Fatigué des cotisations spéciales? Voici comment les éviter
Imaginez être à votre assemblée générale annuelle et entendre, encore une fois, que le fonds de prévoyance est insuffisant. Une toiture à refaire, une façade à restaurer, un ascenseur à moderniser... Ces projets arrivent inévitablement dans la vie d’une copropriété. Et trop souvent, ils s’accompagnent d’une mauvaise nouvelle pour les copropriétaires : une augmentation drastique des cotisations annuelles. Pourtant, il existe une manière simple et légale de prévenir ce genre de surprise désagréable : optimiser le fonds de prévoyance.
La gestion du fonds de prévoyance constitue l’un des leviers les plus efficaces pour assurer la pérennité financière d’une copropriété. Si sa vocation première est de financer les réparations majeures et le remplacement des parties communes, ce fonds représente également une occasion souvent sous-estimée d’optimiser les finances collectives.
Dans un contexte où les exigences réglementaires se resserrent et où les cotisations sont appelées à augmenter, une stratégie de placement rigoureuse et bien adaptée permet non seulement de soutenir la croissance du fonds de prévoyance, mais surtout de protéger la valeur de la copropriété. Mieux encore, elle offre un levier concret pour atténuer la pression financière exercée sur les copropriétaires.
Le cadre légal : de nouvelles exigences, mais aussi de nouvelles opportunités
L’entrée en vigueur du projet de loi 16 en 2019 a suscité beaucoup de réactions dans le milieu de la copropriété. On retient souvent de cette réforme l’alourdissement du cadre réglementaire, notamment par l’imposition d’une étude du fonds de prévoyance à renouveler tous les cinq ans, et par des obligations accrues quant à la capitalisation de ce fonds. Ce que l’on souligne moins, toutefois, c’est l’opportunité majeure qu’offre cette réforme en matière de placement.
Une modification clé à l’article 1071
Avant la réforme, le Code civil du Québec exigeait que les sommes déposées dans le fonds de prévoyance soient entièrement disponibles à court terme, ce qui contraignait les syndicats à se limiter aux comptes bancaires ou aux certificats de placement garanti (CPG) très liquides. Avant l’adoption de la Loi 16, l’article 1071 se lisait comme suit :
« Le syndicat constitue, en fonction du coût estimatif des réparations majeures et du coût de remplacement des parties communes, un fonds de prévoyance, liquide et disponible à court terme, affecté uniquement à ces réparations et remplacements. Ce fonds est la propriété du syndicat. »
Depuis la réforme (présentement en vigueur), il se lit comme suit : « Le syndicat constitue, en fonction du coût estimatif des réparations majeures et du coût de remplacement des parties communes, un fonds de prévoyance affecté uniquement à ces réparations et remplacements. Ce fonds doit être en partie liquide, disponible à court terme et son capital doit être garanti. Il est la propriété du syndicat et son utilisation est déterminée par le conseil d’administration. »
Ce changement, bien que discret en apparence, est fondamental : il ouvre désormais la voie à des placements à plus long terme, à condition que ceux-ci assurent la protection du capital et que le syndicat conserve une portion du fonds accessible à court terme.
Une volonté affirmée par le législateur
Dans les débats parlementaires entourant l’adoption de la Loi 16, la ministre responsable a clairement exprimé l’intention derrière cette modification. Elle a souligné que les sommes constituant les fonds de prévoyance sont importantes, qu’elles seront immobilisées sur une longue période, et que leur rendement peut être optimisé si elles sont investies dans des instruments financiers adaptés. L’objectif, selon elle, était explicite : permettre une meilleure capitalisation grâce à des placements à plus long terme.
« Cet article propose d'abord d'assouplir l'exigence voulant que le fonds de prévoyance soit liquide et disponible à court terme afin de permettre que les sommes qui le constituent puissent être placées à plus long terme et ainsi offrir de meilleurs rendements. » - Mme Andrée Laforest (ministre de l’Habitation) en Commission parlementaire le 20 août 2019
Autrement dit, il existe aujourd’hui un alignement clair entre la volonté du législateur et l’idée d’optimiser les stratégies de placement, à condition de respecter le cadre balisé par la loi.
Une logique d’investissement comparable à celle de la retraite
Le fonds de prévoyance est un outil collectif de planification à long terme. Il sert à accumuler les ressources nécessaires pour faire face à des obligations prévisibles, mais souvent éloignées dans le temps : toiture, revêtement, ascenseur, stationnement, etc. En ce sens, il partage plusieurs caractéristiques avec un fonds de retraite individuel.
Or, dans un contexte de retraite, il serait inconcevable d’immobiliser des sommes importantes dans un simple compte d’épargne pendant 15 ou 20 ans. Pourquoi devrait-il en être autrement lorsqu’il s’agit de l’avenir d’un immeuble?
D’autant plus que la réforme oblige désormais chaque syndicat à produire une étude du fonds de prévoyance tous les cinq ans, fournissant ainsi une feuille de route claire sur les besoins futurs, leur échéance et les flux de trésorerie prévus. Cette prévisibilité donne au gestionnaire tous les outils nécessaires pour planifier les placements de manière structurée, en alignant la maturité des investissements sur les besoins de liquidités identifiés.
Placements admissibles et non admissibles : balises, contraintes et leviers
À la différence d’un portefeuille individuel, les placements effectués par un syndicat de copropriété doivent impérativement respecter les exigences de l’article 1071 du Code civil du Québec. Celui-ci impose que les sommes soient en partie liquides, disponibles à court terme, et que l’ensemble du capital investi soit protégé.
Des véhicules exclus par la loi
Certains types de placements — bien qu’efficaces dans un cadre personnel — ne répondent pas aux critères légaux applicables au fonds de prévoyance. C’est notamment le cas des :
Actions
Fonds communs de placement
Fonds négociés en bourse (FNB)
Cryptomonnaie
Ces véhicules comportent un risque de perte en capital, et leur valeur peut fluctuer de manière importante selon les conditions du marché sans avoir de garantie explicite du capital. Ils sont donc exclus du champ des placements admissibles pour un fonds de prévoyance, même s’ils sont parfois associés à des rendements intéressants à long terme.
Les placements permis selon le cadre légal
Parmi les instruments conformes à l’article 1071, on retrouve trois grandes catégories : les comptes d’épargne, les certificats de placement garanti (CPG) et les produits structurés, incluant notamment les billets à capital protégé.
1. Compte d’épargne à intérêt élevé
Outil fondamental pour assurer la liquidité immédiate du fonds, le compte d’épargne à intérêt élevé est simple, accessible et sans risque. Toutefois, son rendement est généralement très faible, souvent inférieur à l’inflation, ce qui limite son intérêt à long terme. Il joue néanmoins un rôle indispensable dans toute stratégie de répartition d’actifs, en tant que source de liquidité rapide.
2. Certificats de placement garanti (CPG)
Les CPG constituent une option sécuritaire, avec un rendement fixe et une protection intégrale du capital. Leur liquidité dépend du type de CPG sélectionné : certains sont encaissables avant terme, d’autres non.
Toutefois, le rendement offert demeure historiquement modeste sur de longues périodes. À titre d’exemple, le rendement moyen d’un CPG 5 ans au cours de la période 2014-2023 s’est situé autour de 1,9 % (Le rendement des CPG de cinq ans correspond au rendement nominal jusqu’à l’échéance. Source : Statistique Canada, CANSIM tableau 176-0043, série V80691341 (site Web de la Banque du Canada), 8 février 2024.). Il s’agit donc d’un instrument stable, mais dont le potentiel de croissance est limité.
3. Produits structurés
Les produits structurés — dont les billets à capital protégé — permettent de concilier sécurité et rendement potentiel plus élevé. Ils sont conçus pour protéger le capital à l’échéance, tout en offrant une exposition partielle à des indices boursiers, à des paniers d’actions, ou à d’autres sous-jacents financiers.
Ce sont toutefois des produits complexes :
Leurs caractéristiques peuvent varier considérablement d’un produit à l’autre;
Certains versent des coupons périodiques, d’autres non;
Les mécanismes de calcul des rendements peuvent être non linéaires, plafonnés, ou conditionnels;
Ils sont émis en très grand nombre chaque semaine par les principales institutions financières, avec des caractéristiques uniques à chaque émission.
La plupart offrent une liquidité quotidienne sur le marché secondaire, mais leur prix avant échéance peut différer de leur valeur à maturité. En contrepartie, le rendement espéré à long terme de ces produits est généralement supérieur à celui des CPG et des comptes d’épargne, ce qui en fait une composante précieuse dans une stratégie de placement bien construite.
L’importance de consulter un professionnel
Compte tenu de la complexité croissante des produits financiers admissibles, il est essentiel de s’entourer de professionnels spécialisés dans la gestion des fonds de prévoyance. L’objectif n’est pas d’improviser une stratégie d’investissement, mais bien de mettre en place une solution adaptée à la réalité particulière de chaque copropriété et d’en assurer la pérennité, peu importe les changements apportés à la composition du conseil d’administration.
Un professionnel saura :
Analyser l’échéancier de l’étude du fonds de prévoyance pour planifier les placements en fonction des besoins futurs;
Sélectionner les produits disponibles sur le marché offrant la meilleure combinaison de rendement, de sécurité et de liquidité;
S’assurer du respect rigoureux du cadre légal, évitant ainsi des placements inappropriés ou non conformes.
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Une stratégie d’allocation alignée sur l’étude du fonds de prévoyance
La répartition des placements du fonds de prévoyance ne devrait jamais être fondée sur des recettes toutes faites ou des pourcentages arbitraires. Elle doit être construite sur la base de l’étude du fonds de prévoyance, qui identifie avec précision les besoins futurs de la copropriété, les échéances de décaissement prévues et les marges de manœuvre disponibles à moyen et long terme.
Cette étude, qui est désormais requise et à mettre à jour tous les cinq ans, constitue la pierre angulaire d’une stratégie d’investissement efficace. Elle permet de calibrer l’allocation entre liquidités, instruments à terme et placements à rendement potentiel plus élevé, tout en respectant les contraintes légales.
Une approche professionnelle, structurée et diversifiée
Un professionnel de la finance pourra recommander une structure qui maximise la croissance tout en assurant l’accessibilité des fonds au moment opportun. Parmi les stratégies généralement utilisées :
L’échelonnement des échéances : Il s’agit de répartir les placements sur différentes durées, afin d’assurer une rentrée de liquidités chaque année ou à intervalles réguliers. Cela permet de minimiser le risque de devoir liquider un placement avant terme en cas de besoin imprévu.
La diversification des émetteurs : Afin de réduire le risque de contrepartie, les placements devraient provenir de différentes institutions financières, plutôt que d’être concentrés auprès d’un seul acteur.
La diversification des sous-jacents : Pour les produits structurés, il est essentiel que les rendements ne dépendent pas uniquement de la performance d’un petit nombre d’entreprises ou d’un seul secteur économique.
La diversification sectorielle et géographique : Une exposition équilibrée aux marchés canadiens, américains et européens, ainsi qu’à divers secteurs économiques, permet d’optimiser le rapport rendement-risque. C’est l’un des leviers les plus éprouvés pour améliorer le rendement attendu sans accroître le niveau de risque global du portefeuille.
En somme, une stratégie d’allocation rigoureuse, alignée sur l’échéancier des travaux, combinée à une diversification intelligente, permet de faire fructifier le fonds de manière sécuritaire et efficace, en conformité avec les exigences légales.
L’impact concret d’une stratégie d’investissement : deux scénarios comparatifs
Pour illustrer concrètement l’impact d’une stratégie de placement, voici deux scénarios simples qui comparent l’évolution d’un fonds de prévoyance sur 40 ans. Le contexte est le même : une copropriété de 50 unités possède déjà un fonds de 1 000 000 $ et doit financer plusieurs travaux majeurs, dont une réfection de façade de 5 000 000 $ prévue dans 40 ans.
Scénario 1 : Rendement de 2% - Solution standard
Dans ce scénario, l’argent du fonds est investi dans des produits standards, comme des certificats de placement garanti (CPG). Ces produits offrent un rendement plus faible, mais stable et garanti. On sait dès le départ combien on recevra chaque année, sans surprise.
Rendement annuel moyen : 2 %
Cotisation annuelle de départ : 100 000 $
Augmentation annuelle prévue de 1.6 %
Cotisation annuelle moyenne sur 40 ans : 137 000 $
Scénario 2 : Rendement de 5% - Solution optimisée
Ce scénario exploite les nouvelles possibilités offertes par le nouveau cadre légal. Le fonds est investi dans des produits structurés et d’autres instruments conformes à l’article 1071, mais qui permettent un meilleur potentiel de rendement. Le rendement annuel n’est pas toujours le même : certaines années sont très positives, d’autres moins bonnes. Mais à long terme, la moyenne est de 5 %.
Rendement annuel moyen : 5 %, avec des hauts et des bas en chemin
Cotisation annuelle initiale : 100 000 $
Cotisation annuelle moyenne sur 40 ans : 57 000 $
Économie potentielle de 80 000 $ par année, sans compromettre la planification à long terme
Ce scénario demande l’accompagnement d’un professionnel qualifié pour sélectionner les bons produits, respecter les règles et gérer les ajustements de stratégie.
Les administrateurs ont donc 2 options :
1. On paie moins chaque année : la stratégie optimisée permet de cotiser jusqu’à 80 000 $ de moins par année, ce qui allège la charge des copropriétaires. Le fonds finit avec le même montant après 40 ans.
2. On accumule plus à long terme : si on maintient les cotisations du scénario standard, le fonds atteindra une valeur finale bien plus élevée, offrant une marge de manœuvre supérieure pour des projets futurs ou des imprévus.
Le constat est simple
Pour une copropriété de cette envergure, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En investissant les sommes du fonds de prévoyance de manière rigoureuse et stratégique, on peut soit économiser jusqu’à 80 000 $ par année en cotisations, soit accumuler une valeur additionnelle de près de 6 000 000$ sur 40 ans.
Une nouvelle réalité : l’attestation du syndicat sur l'état de la copropriété
Il est également important de replacer cette réflexion dans le contexte réglementaire. Les syndicats de copropriété doivent obligatoirement fournir une attestation lors de la vente d’une unité. Cette attestation vient documenter l’état du fonds de prévoyance et démontrer, noir sur blanc, la capacité de la copropriété à faire face à ses obligations à court, moyen et long terme.
Ce nouveau document change profondément le marché immobilier en copropriété. Les acheteurs s’informe de plus en plus sur le fonds de prévoyance, la qualité de l’entretien, et la solidité de la planification financière.
Une copropriété bien gérée, qui aura su investir judicieusement son fonds, verra la valeur de ses unités protégée, voire bonifiée. À l’inverse, un syndicat sous-capitalisé ou ayant laissé « dormir » son fonds de prévoyance pourrait voir ses copropriétaires confrontés à une dévaluation de leur bien, ou à des difficultés accrues lors de la mise en marché.
Conclusion
Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi 16, la gestion du fonds de prévoyance ne se limite plus à l’accumulation de liquidités disponibles à court terme. Le législateur a voulu, de manière explicite, permettre aux copropriétés d’adopter une approche plus structurée, mieux adaptée à la nature même de ce fonds et en faire un outil de planification à long terme.
Ce changement ouvre la voie à des stratégies d’investissement plus performantes, à condition qu’elles respectent les exigences fondamentales : capital protégé, liquidité partielle et disponibilité à court terme.
Les produits financiers admissibles sont limités, et leur complexité impose de faire appel à des professionnels spécialisés, capables de bâtir un portefeuille conforme, diversifié et aligné sur les échéanciers prévus dans l’étude du fonds de prévoyance.
Enfin, dans un avenir proche, l’attestation de santé financière, exigée lors de la vente d’une unité, viendra formaliser cette nouvelle réalité. Une copropriété qui aura bien géré son fonds verra sa valeur protégée. À l’inverse, une absence de stratégie pourrait rapidement se traduire par des pertes de valeur, voire des difficultés à vendre.
Investir judicieusement, c’est donc bien plus que maximiser un rendement. C’est protéger l’équilibre financier de l’immeuble, alléger le fardeau des cotisations et préserver la valeur du patrimoine immobilier des copropriétaires.
Antoine Vézina, CFA
Président et fondateur d’Invia Gestion Financière. Titulaire d’un baccalauréat en comptabilité et de la désignation professionnelle CFA (analyste financier agréé). Possède plus de 10 ans d'expérience et gestion de placements